Wednesday, December 14, 2005

Page 1 les souliers du faiseur d'ailes

Il était une fois, aux frontières des terres égyptiennes et des terres romaines, un vieil homme chenu, prêt à fermer les yeux.

Sa vie avait été longue et paisible, bien que solitaire. Il s’était toujours tenu à l’écart du monde, ce n’est que l’âge venant qu’il avait fini par se rapprocher du village et qu’il s’était enfin décidé à prendre une esclave pour l’aider dans ses tâches quotidiennes. Il avait toujours refusé de se plier à la coutume romaine et cette fois encore il avait détourné la règle. Il n’avait pas pris une jeune fille robuste et solide qui aurait entretenu sa demeure et réchauffé sa couche, mais une enfant chétive et rejetée de tous. Il n’avait jamais eu aucun goût pour la société de ses frères, ni pour la compagnie des femmes, trop étrangères.

Depuis aussi loin qu’il se souvenait il n’avait jamais rien fait d’autre que de travailler dans l’atelier de son père, on l’appelait le faiseur d’ailes. Il était connu et respecté comme un Dieu dans des pays dont il n’avait jamais entendu parler.

Cependant tout avait changé depuis que lui qui n’avait jamais eu d’enfant avait recueilli la fillette.

Comme tout au long de sa vie, cette ultime rencontre, il ne l’avait pas choisie. Il aurait tout aussi bien pu se rendre aux échoppes entourant l’arène de Jérusalem, pour livrer ses ripis et flabella, la veille ou le jour suivant. Mais le hasard, en quoi il ne croyait pas le moins du monde, l’avait fait passer là au moment où l’enfant allait être mise à mort
.
Ce jour là, le marché aux esclaves aurait dû être terminé et les heures chaudes aux ombres courtes auraient dû vider les rues de toute agitation. La fillette était encore attachée à un mas, demie affalée dans la poussière. Le marchand d’esclaves ventru exhortait la foule à prendre son parti :

« - Regardez la ! », disait-il.
« - Comme elle est laide et chétive, sa peau se pèle au moindre rayon de soleil, ses cheveux ont la couleur des flammes et renferment des nids de vipères et de scorpions. Elle est si maigre et si faible, qu’elle ne peut même pas remonter le seau du puits. Ses dents sont si pointues et ses ongles si longs qu’elle effraye même les animaux. Son odeur infecte repousse les mendiants et sa bêtise est une insulte à la race toute entière. Qui voudra jamais d’elle, même pour laver par terre, les cafards n’osent pas fouler le même sol qu’elle. »
Pendant qu’il vociférait en frappant l’enfant, lui arrachant les cheveux par paquets, crachant sur son visage et déchirant sa toge, une foule toujours plus nombreuse s’agglutinait autour d’eux. Grisés par le vin et la chaleur écrasante les hommes sortaient des tavernes pour rejoindre les femmes qui commençaient à hurler elles aussi. Seuls les esclaves aux pieds nus restaient silencieux et essayaient de s’éloigner le plus possible du supplice qui s’annonçait. Le marchand avait saisi une pierre qu’il brandissait face à la foule :

«- Je préfère encore la tuer de mes propres mains, que de vous la vendre même pour rien, cette chienne est maudite, elle est la fille du démon. »

( La suite page 2, à bientôt... )

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