Tuesday, January 17, 2006

4ème page des Souliers du Faiseur d'Ailes...

VIl la porta jusqu’à sa couche et eut les plus grandes peines du monde à lui retirer ses sandales. Ses pieds de nacre semblaient avoir été lacérés et écrasés par une foule en furie. Pourtant, à peine les eut-il dénudés qu’ils reprirent leur perfection première. Il resta agenouillé longtemps auprès de la jeune fille que rien ne semblait plus pouvoir réveiller.
Aux heures profondes de la nuit, le vieil homme accablé finit à son tour par sombrer dans un pesant sommeil.
C’est alors qu’un serpent aux écailles luisantes lui apparut. Il était tellement replié sur lui-même que le vieil homme ne parvenait pas à distinguer le début de la fin. Chaque nouvelle contraction faisait luire sa peau. Le vieillard n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait. Il entendait le ressac de la mer, sentait le sable sous lui restituer la chaleur du jour. La lune éclatante occupait tout le ciel et avait fait disparaître les étoiles. Après un long moment qui aurait pu aussi bien durer des jours que des années, le serpent se déplia enfin, dardant une tête triangulaire aux yeux d’or. Il s’approcha jusqu’à effleurer le visage parcheminé du vieil homme qui ne pouvait plus faire le moindre mouvement ni articuler le moindre mot. Son corps s’était changé en pierre bien qu’aucune crainte ne l’oppressait. Le serpent vint s’enrouler autour de son corps et posa sa tête sur son épaule, juste au creux de la gorge, sa langue sifflant à son oreille.
« -Qu’as-tu fais mon ami, » commença-t-il,
« -N’as-tu donc rien appris ? »
Le vieil homme ne pouvait pas parler, mais ses pensées semblaient être comme des paroles pour l’animal.
« -Que veux-tu dire, où sommes-nous et qui es-tu ? »
Le serpent ne répondit pas.
« -Qu’as-tu donc fait pendant toutes ces années ?
- J’ai travaillé et puis un jour j’ai eut l’enfant, » pensa-t-il
« Mais encore, mon ami, qu’as-tu donc fait depuis ton premier jour ?
- Je me suis tenu loin du monde et j’ai travaillé avec mon père jusqu’au jour de sa mort. Après j’ai travaillé seul.
- Et que faisait ton père ?
- La même chose que moi avec mon grand père, qui lui aussi avait fait la même chose avec son père…
- Ne vois-tu là rien d’étrange ? »

Le vieil homme ne comprenait pas où le serpent voulait en venir. Bien que son corps fut aussi dur que le marbre, il sentait l’étreinte du serpent se resserrer peu à peu.

« -Où sont les femmes dans ta famille ?
- Ma mère est morte en me donnant le jour, ma grand-mère est morte en donnant naissance à mon père, et ainsi de suite. Il en a toujours été comme cela chez nous. Au premier né la femme mourait. Toujours un garçon qui travaillait avec son père puis continuait après.
- Et où est ton fils ?
- Je n’ai pas eu d’enfant.
- Pourquoi ?
- Ma vie n’a pas était heureuse, celle de mon père non plus, celle de son père encore avant… Je ne voulais pas laisser cet héritage après moi.
- Et qu’avez-vous fait de tout ce temps ? »

Le vieil homme réfléchissait mais ne parvenait pas à comprendre la question du serpent.

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