5ème page des Souliers...
« -Comment vous appelle-t-on depuis sept générations ?
- Les faiseurs d’ailes, » pensa le vieillard
« -Oui, et alors, qu’elle était votre métier ?
- Nous tressions des feuilles et des branchages. Nous façonnions des manches en bois, en ivoire ou en or pour le garnir de plumes ou de crins…
- A quoi servaient ces objets ?
- A attiser les braises, protéger des insectes, rafraîchir le nouveau né, protéger les amours des jeunes gens de la morsure du soleil et des regards indiscrets, éloigner les mauvais esprits, faire descendre sur les hommes la protection des dieux et monter auprès d’eux nos âmes tourmentées.
- Et tu n’as pas été heureux faiseur d’ailes ? De tous les métiers qui enchaînent tu as eu l’un des plus sacrés. »
Le vieil homme pressentait bien que le serpent était dans le vrai, mais il ne parvenait pas encore à voir où il voulait en venir.
« -Mais qu’elle est donc l’autre métier, » se demandait-il ?
« -Celui que tu pratiques depuis que tu as recueilli l’enfant. Le cordonnier libère le corps du petit d’homme trop fragile pour le monde qui l’entoure. La sandale qu’il façonne protège l’âme concrète et se confond même avec l’individu qu’elle accompagne. Pourquoi les tiens refusent-ils les chausses aux esclaves selon toi ?
Aucun des souliers que tu as fait pour l’enfant ne lui rendront sa liberté, alors que tous auraient pu le faire.
Regarde-moi vieil homme, comme toi je suis solitaire. Tu es l’aboutissement je suis le commencement. Mon sang est froid, je n’ai ni pattes ni poils, pourtant nous sommes frères. Je suis la partie cachée de ton esprit, je rampe à la surface de la terre ou dans ses profondeurs, mais moi aussi je voudrais ma part de lumière. C’est pourquoi je viens te voir cette nuit. Je vais exhausser ton vœu le plus cher et tu exhausseras le mien.
Dans sept nuits je reviendrai te voir, il faudra alors que tu me tues. Ne t’inquiète pas, je ne me défendrai pas mon heure sera venue. Je suis le premier de ma race, mes enfants sont nombreux et il est temps que je rende leurs racines obscures aux hommes.
Tu devras alors de ma peau faire un éventail qui servira à la cérémonie de ton départ, car toi aussi, mais tu le sais déjà, tu mourras sept jours après moi.
Quand ton éventail sera brûlé ton âme et la mienne seront unies à jamais et je pourrai enfin parcourir les étoiles en ta compagnie.
-Et pour l’enfant, » pensa le faiseur d’ailes.
« -J’allais y venir dit le serpent, » qui desserrait son étreinte et commençait déjà à s’éloigner lentement.
« -Tu coudras dans ma peau les plus belles sandales que tu n’as jamais vues, elles ouvriront le monde à ton enfant adorée et te libèreront de ton angoisse secrète de la laisser partir. »
Le serpent était déjà loin quand le vieil homme s’endormit dans son rêve.
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