6ème page des Souliers...
Au matin, la jeune fille était toujours inerte, son souffle calme et régulier.
Le vieil homme rafraîchit son visage, la fit boire doucement et entreprit de terminer les derniers flabella qu’elle avait commencé. Au soir il s’endormit, toujours au chevet de la jeune femme. Comme la veille aux heures profondes de la nuit il se retrouva sur le sable, sous la lune, aussi immobile qu’un arbre pétrifié. Un aigle immense d’une blancheur irréelle vint se poser tout près.
« -Qu’as-tu fait mon ami, » commença-t-il,
« -N’as-tu donc rien appris ? »
Comme la veille, le vieil homme ne pouvait pas parler, mais ses pensées qui avaient été pour le serpent comme des paroles étaient également entendues par l’aigle.
« -Que veux-tu dire, où sommes-nous et qui es-tu ? »
L’aigle ne répondit pas non plus.
« -Qu’as-tu donc fait pendant toutes ces années ?
- J’ai travaillé et puis un jour j’ai eut l’enfant, » pensa-t-il de nouveau
« -Mais encore, mon ami, qu’as-tu donc fait depuis ton premier jour ?
- Je me suis tenu loin du monde et j’ai travaillé avec mon père jusqu’au jour de sa mort. Après j’ai travaillé seul.
- Et que faisait ton père ?
- La même chose que moi avec mon grand-père, qui lui aussi avait fait la même chose avec son père…
- Ne vois-tu là rien d’étrange ? »
-
Le vieil homme comprenait cette fois que l’aigle attendait les mêmes réponses que le serpent. Il se souvint alors de la place des femmes dans sa famille et répéta ce qu’il avait dit la nuit précédente.
« -Ma mère et morte en me donnant le jour, ma grand-mère est morte en donnant naissance à mon père, et ainsi de suite. Il en a toujours été comme cela chez nous. Au premier né la femme mourait. Toujours un garçon qui travaillait avec son père puis continuait après.
- Et où est ton fils ?
- Je n’ai pas eu d’enfant.
- Pourquoi ?
- Ma vie n’a pas été heureuse, celle de mon père non plus, celle de son père encore avant… Je ne voulais pas laisser cet héritage après moi.
- Et qu’avez-vous fait de tout ce temps ? »
Le vieil homme pouvait cette fois deviner les questions de l’animal, mais il voulait sonder ses réactions, il fit donc, aux mêmes questions les mêmes réponses qu’au serpent, à l’affût de la plus petite variation.
« -Comment vous appelle-t-on depuis sept génération ?
- Les faiseurs d’ailes, » pensa une fois encore le vieillard
« -Oui, et alors, quel était votre métier ?
- Nous tressions des feuilles et des branchages. Nous façonnions des manches en bois, en ivoire ou en or pour les garnir de plumes ou de crins…
- A quoi servaient ces objets ?
- A attiser les braises, protéger des insectes, rafraîchir le nouveau-né, protéger les amours des jeunes gens de la morsure du soleil et des regards indiscrets, éloigner les mauvais esprits, faire descendre sur les hommes la protection des dieux et monter auprès d’eux nos âmes tourmentées.
- Et tu n’as pas été heureux faiseur d’ailes ? De tous les métiers qui enchaînent tu as eu l’un des plus sacrés. »