Wednesday, March 15, 2006

10ème et dernière page des Souliers...

déposé la sandale ailée entre les mains de Pharaon, qui dès cet instant n’eut plus qu’une obsession, retrouver la personne à qui appartenait cette chaussure ailée envoyée par les dieux. Il avait dépêché ses meilleurs soldats à la recherche de la femme qui pouvait bien posséder le pendant de ce merveilleux écrin. Les jours passant, il était parti lui-même poursuivre sa quête jusqu’aux frontières des terres Romaines.

Désespéré par des semaines de recherches infructueuses, Pharaon arriva un jour dépouillé de tous ses attributs aux alentours d’une maison animée. Il avait troqué en vain ses bijoux, ses vêtements, ses sandales, son cheval, en échange de renseignements qui ne l’avaient conduit que sur des fausses pistes. Il était semblable à un mendiant décharné et assoiffé lorsqu’il se présenta sur le seuil de la maison. On vint lui porter une écuelle d’eau et une galette, ainsi qu’un tabouret. Il remercia, bu, mangea un peu, et alors qu’il s’apprêtait à repartir une vieille femme lui demanda :

«- Que cherches-tu mon fils ? »

Il n’eut pas l’énergie de raconter une fois encore son histoire, il se contenta de tendre à la vieille femme le petit paquet qu’il conservait plié dans un papyrus couvert de taches.
Quelle ne fut pas sa surprise quand elle découvrit le soulier ailé manquant. Elle se précipita à l’intérieur au chevet de Vâyu, son visage maigre et marqué de profonds cernes serrait le cœur, mais ne parvenait pas à faire oublier sa souveraine beauté. Sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Depuis plusieurs jours déjà, elle serrait sur sa poitrine son dernier éventail. Elle eut encore la force d’entre ouvrir les paupières.
Pharaon se tenait immobile devant elles emplie d’amour et d’humilité. La vieille femme déposa le soulier manquant auprès de celui qu’elles avaient conservé. Pharaon se décida alors à prendre les mains de la jeune fille pour la faire assoire sur le bord de son lit. Il s’agenouilla et lui remit enfin ses souliers d’écailles et de plumes. Vâyu releva alors l’éventail qu’elle tenait toujours, pour protéger des regards indiscrets le baiser qu’elle donna au jeune homme.

La suite est connue de tous, elle fut maintes fois réécrite, déformée, appauvrie. Bien entendu, il vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants qui peu à peu écrirent l’Histoire.

Cependant, personne ne sut jamais ce qu’il advint du faiseur d’ailes, du serpent et de l’aigle.

Nos mémoires reptiliennes, nos mémoires d’Hommes, et nos mémoires d’anges, ont de nouveau perdu le contact.

Pourtant, si nous prenions la peine d’interrompre nos courses éperdues, si au moins par instant nous n’étions pas centré sur notre seul et petite raison, nous pourrions encore percevoir le serpent l’aigle et l’homme, confondus en un seul être ils parcourent les étoiles à la découverte de vastes mondes.

9ème page des Souliers...

placé le corps qu’elle avait lavé et parfumé, simplement enveloppé dans un lin écarlate. Elle avait bien pris soin de déposer son éventail sur la poitrine nue du mort afin qu’il l’accompagne.
Une fois toutes ces chose faites elle se rendit au village, tête nue pour annoncer le départ du faiseur d’ailes et acheter tout le nécessaire à la préparation du banquet d’adieu. Elle ne rencontra aucune suspicion à l’annonce de la mort du vieil homme. Dès la première seconde tout le monde avait remarqué ses étranges souliers d’écailles et de plumes. Il n’était plus question de toiser la jeune beauté. Chacun savait qui elle était, bien qu’il fût impossible de retrouver dans son visage parfait les traits ingrats de la petite esclave.
Seul le marchand s’était enfui en larmes à son arrivée. Il n’avait pu supporter de revoir le visage de la seule femme qu’il eut jamais aimée.
Toutes les femmes du village vinrent aider Vâyu à la préparation du banquet, les bras chargés des plus beaux fruits, des plus beaux légumes, des plus belles viandes et des plus beaux poissons. D’autres encore apportèrent les épices, les huiles et les vins les plus parfumés. Jamais la maison du faiseur d’ailes n’avait vu autant de visages amis réunis. À la première étoile Vâyu mit le feu au bûcher et le faiseur d’ailes, ses souliers, et son éventail entreprirent leur ascension dans la clameur de la foule toujours plus nombreuse.

Il s’était passé sept semaines depuis la mort du vieil homme. Malgré ses souliers ailés, la jeune fille n’avait rien changé à ses habitudes. Chaque jour, elle s’installait devant la porte et reprenait son ouvrage. Ses éventails étaient si recherchés qu’elle avait été obligée de demander à un groupe de villageois de venir apprendre les savoirs du faiseur d’ailes. Elle acceptait tout le monde, homme comme femmes, la seule condition était que chacun devait être libre. C’est pourquoi chaque esclave qui était envoyé se voyait offrir une paire de chaussures et un éventail au premier jour de leur arrivée, et repartaient libre le soir. Tous, bien que libres, étaient revenus le lendemain.
Vâyu devait aller chaque soir à la grotte retirer de nouvelles chausses pour les arrivants du lendemain. Chaque soir, malgré la manne énorme, Vâyu se demandait comment elle allait faire quand il n’y aurait plus de souliers fait par le faiseur d’ailes. Elle entreprit donc d’apprendre également à faire des souliers de liberté, et fut nommée bientôt Vâyu pas d’anges, en l’honneur de son père et de son histoire.

C’est ici que l’aventure aurait pu s’arrêter, pourtant il n’en est rien.

Par une chaude après-midi, alors que des dizaines de familles travaillaient désormais avec Vâyu, vint le temps de la suite de l’oracle de l’aigle blanc.

Vâyu s’éloigna pour aller se baigner et délasser son corps. Elle ôta ses souliers ailés et gagna l’onde fraîche. Alors qu’elle nageait sous les branches qui se courbaient jusqu’à caresser son visage, un aigle immense vint se poser sur la berge tout près de ses vêtements. Il ne resta qu’une seconde, elle n’eut pas le temps de l’apercevoir. Il se saisit d’une de ses sandales et s’envola aussitôt.
Lorsqu’elle regagna la berge quelle ne fut pas sa détresse de ne retrouver qu’un seul de ses chers souliers. Elle fouilla chaque recoin, chaque brin d’herbe sans bien sûr pouvoir le retrouver.
Elle ne rentra que fort tard alors que tout le monde était à sa recherche. Chacun essaya de la consoler, mais rien n’y fit, elle s’endormit en larme et ne quitta plus sa couche. Le jour suivant ne changea rien, ni le jour d’après. Les hommes avaient parcouru la rivière sur des kilomètres, sans succès.

Les jours et les semaines passés ne tarissaient pas les larmes de Vâyu
Pourtant le jour où l’aigle s’était emparé du soulier, une autre personne l’avait recueilli précieusement. L’aigle immense avait parcouru les montagnes, traversé les déserts, survolé le Nil et

8ème page des Souliers...

« - Mon plus jeune fils veillera sur son envol » dit encore l’aigle disparaissant déjà au loin.

De nouveau le vieil homme s’endormit dans son rêve.

Six jours s’écoulèrent, durant lesquels le faiseur d’ailes prit soin de la jeune endormie. Il se reposa beaucoup lui-même, car son corps fatigué devenait chaque jour plus lourd et difficile à conduire. Ses mains tremblaient, mais il les savait encore solides. Elles allaient encore devoir accomplir les deux plus belles créations de sa longue vie.

Au soir du sixième jour il s’endormit dans l’attente des retrouvailles avec le serpent. Il était à la fois confiant et tendu à l’idée de prendre une vie, même offerte, lui qui avait toujours fui la violence.

Tout se passa comme le serpent l’avait annoncé. Au réveil, le vieil homme commença à préparer la peau pour les souliers de la belle endormie et l’éventail qui accompagnerait son dernier voyage. Il ne prit pas le moindre instant de repos, ses mains furent fidèles et justes. Il s’endormit le soir venu comme une bête après une longue course.
Comme la veille, il répugnait à ôter la vie de l’aigle, mais savait leurs destins scellés.
Au soir du huitième jour, le vieil homme avait terminé les souliers de la jeune fille et l’éventail qui libèrerait son âme.
Il sentait ses forces disparaître et versa de longues larmes chaudes. C’est alors que la jeune femme s’éveilla et vint bercer le faiseur d’ailes enserrant son dos maigre de ses bras frais et fermes. Ils n’échangèrent pas un mot. Blottis l’un contre l’autre ils souriaient doucement. Sentant le sommeil venir, le vieillard se redressa et fit asseoir la belle esclave sur le bord de la couche.
Il s’accroupit à ses pieds, lui montra l’éventail de peau et de plumes qui était resté sur l’établi :

« -Tu sais ce que tu devras faire avec ça pour moi, » demanda-t-il dans un murmure ?
« -Oui mon père répondit-elle. »

Le cœur du vieil homme faillit se rompre à ces dernières paroles, mais il ne rendit qu’un sourire rempli de gratitude à son enfant.

« -Tes souliers sont enfin prêts ma fille, pardonne-moi d’avoir tant tardé. »

Il prit une profonde inspiration et continua :

«- Mon enfant aimée, bonheur de mes dernières années tu as rempli mon cœur et mon âme d’un espoir nouveau, il est temps aujourd’hui que tu traces ta propre route. Par ces souliers je te libère de toute attache et t’invite à parcourir le monde sous le nom de Vâyu »

A l’évocation du nom de l’enfant il exhala son dernier souffle et partit pour son dernier voyage entre les bras protecteurs de la jeune femme.
Elle passa la nuit à veiller la dépouille du faiseur d’ailes. Elle avait ouvert toutes les portes et les fenêtres pour que les esprits puissent venir rendre leur dernière visite au jeune mort. Très tôt, le lendemain matin elle avait, selon l’ancienne coutume, déchaussé le mort, pour qu’il puisse enfin arrêter sa course et prendre du repos. Ensuite, elle avait dressé le bûché au milieu de la cour, puis

7ème des Souliers...

- les mauvais esprits, faire descendre sur les hommes la protection des dieux et monter auprès d’eux nos âmes tourmentées.
- Et tu n’as pas été heureux faiseur d’ailes ? De tous les métiers qui enchaînent tu as eu l’un des plus sacrés. »

Le vieil homme décida alors de devancer la prochaine question :

« -J’ai appris depuis peu quel était l’autre métier sacré. »

L’aigle récita quand même son oracle :

« - Le cordonnier libère le corps du petit d’homme trop fragile pour le monde qui l’entoure. La sandale qu’il façonne protège l’âme concrète et se confond même avec l’individu qu’elle accompagne, c’est pourquoi les tiens refusent les chausses aux esclaves, mais ça, tu le sais déjà. Tu sais également aujourd’hui comment faire les souliers qui libèreront ton enfant. Je suis au courant de la visite de mon frère des profondeurs.
- Regarde-moi vieil homme, comme toi, et comme notre ami, je suis solitaire. Tu es l’aboutissement, il est le commencement, je suis le symbole de vos aspirations humaines. Mon sang est chaud, je n’ai ni jambes ni bras, pourtant nous sommes frères. Le serpent est la partie cachée de ton esprit, tu es la raison et le faire, je suis le rêve et l’espérance. Pourtant aussi haut que je vole, jamais je ne pourrai découvrir l’autre monde, à mon dernier souffle, mon corps retombera sur la terre et pourrira à sa surface. Tu parcours le monde de mon ami serpent avec tes souliers, tu effleures le mien de l’aile de ton éventail, mais tu es le seul à pouvoir nous emporter à la découverte des étoiles. Je voudrais moi aussi ma part de lumière. C’est pourquoi je viens te voir cette nuit. Mon ami de l’ombre a été bien présomptueux. Son souhait d’exhausser ton vœu était sincère, mais sans moi, son pouvoir est incomplet. Nous sommes tout trois issus de la même matrice. Séparément nous sommes mortel, ensemble plus rien ne pourra interrompre notre évolution. Je vais t’aider à exhausser ton vœu le plus cher et tu m’aideras à exhausser le mien. »

L’aigle prononça une fois encore les mêmes paroles que le serpent :

«- Dans sept nuits je reviendrai te voir, il faudra alors que tu me tues. Ne t’inquiète pas, je ne me défendrai pas, mon heure sera venue. Je suis le premier de ma race, mes enfants sont nombreux et il est temps que je rende l’espoir et le rêve aux hommes.
Je sais que tu dois faire de la peau de mon ami un éventail qui servira à la cérémonie de ton départ. Tu ajouteras les sept plus belles plumes de mes ailes à ton ouvrage
Quand ton éventail sera brûlé ton âme, celle de mon ami et la mienne seront unies à jamais et je pourrai enfin parcourir les étoiles en ta compagnie.
-Et pour l’enfant, » pensa encore le faiseur d’ailes.
-« J’allais y venir » dit l’aigle blanc qui se redressait, déjà prêt à prendre son envol.
« -Quand tu auras cousu dans la peau du serpent les plus belles sandales que tu as jamais vues, tu ajouteras à l’intérieur le duvet de mon cou pour les rendre plus douces qu’une caresse et tu placeras à chaque talon l’extrémité de mes ailes : ainsi ton enfant chérie pourra parcourir le monde et voler d’un bond dans tous les pays du monde.
-Mais que deviendra-t-elle, seule, » pensa encore le faiseur d’ailes.