Wednesday, December 21, 2005

Page 2 les souliers du faiseur d'ailes

Sa voix redoubla encore de rage et alors qu’il allait laisser son bras armé retomber sur le visage meurtri de l’enfant, il lâcha dans un sanglot :

« - Cette sorcière a tué sa propre mère ! »

Déjà la foule s’était saisie de pierres et de bâtons pour lapider la mauvaise, c’est à cet instant que le vieil homme était intervenu :

« - donne moi l’enfant ! », avait-il dit d’une voix à peine audible.
« -Ton prix sera le miens. »

Malgré la faiblesse de sa voix, la foule entière s’était tue, le faiseur d’ailes avait parlé, en un instant il avait effacé la colère du monde.

« -Pour toi vieil homme, ce ne sera pas très cher mais sais-tu bien ce que tu fais ?
-Ton prix importe peu, détache cette enfant et donne-la moi tu l’as suffisamment humiliée comme ça ! »

Le marchand demanda une somme énorme, au vieil homme pour la fillette qu’il s’apprêtait à faire lapider. Il détacha l’enfant presque avec douceur et la remit entre les mains du vieillard. Il garda une seconde encore l’épaule frêle au creux de sa paume immense, comme s’il laissait partir son bien le plus précieux.
C’était en fait le cas, car au fond des hommes les plus méchants sommeille toujours une âme blessée. Il était le père de l’enfant qu’il laissait partir aujourd’hui. Elle était le fruit de son amour avec son esclave favorite qui était morte en la mettant au monde. Il avait vécu sept ans dans l’espoir que l’enfant ferait survivre par-delà la mort la beauté de son aimée, mais les traits ingrats de la fillette et le simple fait qu’elle respire encore alors que sa mère n’était plus lui était devenu insupportable.
Le vieil homme prit l’enfant dans ses bras, la foule commençait à se disperser non sans murmurer que le faiseur d’ailes avait perdu la raison et que cette sauvageonne ne lui apporterait que ruine et déshonneur.
Il porta l’enfant au près du puits, l’assit à l’ombre d’un grand arbre. Il remonta lentement le seau des profondeurs de la terre. Il choisit dans son ballot le plus bel écran de plume d’autruche qu’il pu trouver. Il éventa tendrement le visage maculé de la petite qui osait à peine croiser son regard.
Il n’y avait plus personne sur la place, mais derrière chaque porte, chaque fenêtre, des dizaines de regards épiaient toute la scène.
Le faiseur d’aile déchira un pan de sa toge qu’il trempa dans l’eau et entreprit de nettoyer le visage de l’enfant. Personne ne pouvait entendre ce qu’il disait, mais tous commencèrent à imaginer les mensonges les plus fous. Ils n’en crurent pas leurs yeux quand ils virent l’homme, remonter une deuxième fois le seau rempli d’eau claire et laver les pieds de la jeune esclave. Personne n’avait jamais vu un tel sacrilège. Le vieil homme lava par deux fois les pieds minuscules de l’enfant. S’il avait été moins concentré sur sa tâche, le faiseur d’ailes aurait entendu toutes les mâchoires se crisper et toutes les respirations des villageois s’étrangler à la seconde où ses lèvres embrassèrent les petits pieds lavés.
« -Je te ferai des souliers si beaux et si précieux que personne ne pourra jamais interrompre ton voyage. Tes pieds si menus et si doux ne craindront plus ni les pierres ni le sel, ni le froid ni la chaleur des braises. Tu seras libre d’aller où tes rêves te portent. » Puis il murmura encore, en caressant le front de l’enfant du bout des longues plumes blanches : « -Quand tes souliers seront prêts, nous choisirons ton nom. »

Wednesday, December 14, 2005

Page 1 les souliers du faiseur d'ailes

Il était une fois, aux frontières des terres égyptiennes et des terres romaines, un vieil homme chenu, prêt à fermer les yeux.

Sa vie avait été longue et paisible, bien que solitaire. Il s’était toujours tenu à l’écart du monde, ce n’est que l’âge venant qu’il avait fini par se rapprocher du village et qu’il s’était enfin décidé à prendre une esclave pour l’aider dans ses tâches quotidiennes. Il avait toujours refusé de se plier à la coutume romaine et cette fois encore il avait détourné la règle. Il n’avait pas pris une jeune fille robuste et solide qui aurait entretenu sa demeure et réchauffé sa couche, mais une enfant chétive et rejetée de tous. Il n’avait jamais eu aucun goût pour la société de ses frères, ni pour la compagnie des femmes, trop étrangères.

Depuis aussi loin qu’il se souvenait il n’avait jamais rien fait d’autre que de travailler dans l’atelier de son père, on l’appelait le faiseur d’ailes. Il était connu et respecté comme un Dieu dans des pays dont il n’avait jamais entendu parler.

Cependant tout avait changé depuis que lui qui n’avait jamais eu d’enfant avait recueilli la fillette.

Comme tout au long de sa vie, cette ultime rencontre, il ne l’avait pas choisie. Il aurait tout aussi bien pu se rendre aux échoppes entourant l’arène de Jérusalem, pour livrer ses ripis et flabella, la veille ou le jour suivant. Mais le hasard, en quoi il ne croyait pas le moins du monde, l’avait fait passer là au moment où l’enfant allait être mise à mort
.
Ce jour là, le marché aux esclaves aurait dû être terminé et les heures chaudes aux ombres courtes auraient dû vider les rues de toute agitation. La fillette était encore attachée à un mas, demie affalée dans la poussière. Le marchand d’esclaves ventru exhortait la foule à prendre son parti :

« - Regardez la ! », disait-il.
« - Comme elle est laide et chétive, sa peau se pèle au moindre rayon de soleil, ses cheveux ont la couleur des flammes et renferment des nids de vipères et de scorpions. Elle est si maigre et si faible, qu’elle ne peut même pas remonter le seau du puits. Ses dents sont si pointues et ses ongles si longs qu’elle effraye même les animaux. Son odeur infecte repousse les mendiants et sa bêtise est une insulte à la race toute entière. Qui voudra jamais d’elle, même pour laver par terre, les cafards n’osent pas fouler le même sol qu’elle. »
Pendant qu’il vociférait en frappant l’enfant, lui arrachant les cheveux par paquets, crachant sur son visage et déchirant sa toge, une foule toujours plus nombreuse s’agglutinait autour d’eux. Grisés par le vin et la chaleur écrasante les hommes sortaient des tavernes pour rejoindre les femmes qui commençaient à hurler elles aussi. Seuls les esclaves aux pieds nus restaient silencieux et essayaient de s’éloigner le plus possible du supplice qui s’annonçait. Le marchand avait saisi une pierre qu’il brandissait face à la foule :

«- Je préfère encore la tuer de mes propres mains, que de vous la vendre même pour rien, cette chienne est maudite, elle est la fille du démon. »

( La suite page 2, à bientôt... )

Friday, December 09, 2005

Les souliers du faiseur d'ailes
Un conte pour petits et grands